Antoni Campañá, Icônes cachées. Images méconnues de la guerre d’Espagne (1936-1939)

Des Images cachées,  des textes dérangeants…

Au fil de l’histoire de la guerre d’Espagne, ne pas oublier….

« C’est en Espagne que ma génération a appris que l’on peut avoir raison et être vaincu,

que la force peut détruire l’âme et que, parfois, le courage n’obtient pas  de récompense.

C’est sans aucun doute ce qui explique pourquoi tant d’hommes à travers le monde

considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie  personnelle,

La dernière grande cause ».

Albert Camus

Héritières de la mémoire des horreurs du franquisme, nous voulons témoigner de notre ressenti après avoir visité l’exposition « Antoni Campañá, Icônes cachées. Images méconnues de la guerre d’Espagne (1936-1939) » …

Malgré des critiques souvent élogieuses, nous souhaitons dire notre surprise et notre trouble lors de la visite.

Nous ne mettons pas en cause la qualité du travail ni l’œil du photographe. Nous nous interrogeons sur les textes des 18 panneaux qui accompagnent l’exposition où, régulièrement, nous retrouvons des commentaires qui reflètent une « écriture » de l’histoire de la guerre partielle et biaisée.

La force de l’image et des mots est de construire une représentation, on le sait bien. Tout au long de cette exposition nous percevons une réécriture de l’histoire qui nous dérange voire qui nous révolte.

Nous n’avons vu aucun texte sur le grand espoir d’émancipation sociale qui est au cœur de ce moment de l’histoire.

Le message qui est transmis est celui d’une guerre réduite aux luttes intestines du côté républicain et aux actes d’horreur de certains groupes anarchistes. En ce sens, le panneau 10 est explicite.

« La Catalogne républicaine sera un terreau fertile de luttes intestines, bien loin de la guerre contre Franco. Les tensions entre militants anarchistes et simples passants sur la Rambla de Barcelone qu’Antoni Campañà nous a léguées tout au long de l’été 1936 témoignent de la brutalité du conflit… »

L’exposition transmet une image qui tend à tracer un trait d’égalité entre Républicains et Franquistes. Elle insiste sur la présence soviétique mais ne dit rien des autres soutiens internationaux à la République espagnole… Pas une photo sur les Brigades Internationales, pas un mot sur l’élan de solidarité dans de nombreux pays, alors que l’Europe décide de ne pas intervenir dans ce conflit pour ne pas déplaire à L’Allemagne qui elle, avec l’aide de l’Italie va bombarder aux côtés de Franco. Nous pouvons rappeler la phrase historique « Plutôt Hitler que le Front Populaire ».

Le texte “CONTEXTE HISTORIQUE » nous glace le cœur :

« Dans un monde actuel d’idées instables et éphémères, où la technologie nous dépasse et nous transforme, dans une ère où le débat politique perd ses ancrages idéologiques clairs, il est extrêmement intéressant de revisiter la guerre civile espagnole (1936-1939) : une bataille d’idées entre des projets forts et antagonistes , un affrontement violent -terreur rouge républicaine, terreur blanche franquiste encore plus brutale, et luttes internes à l’intérieur de chaque camp— de dynamiques espagnoles et européennes marquées par la montée des totalitarismes fascistes et la présence soviétique…. »

Ahurissant, n’est-ce pas ?

Mettre à égalité, ou presque, des Républicaines et Républicains qui défendent un pays et un gouvernement démocratiquement élu et un pouvoir militaire fasciste qui fait un coup d’état ?

Mettre à égalité les atrocités commises par quelques Républicains, et non la population ni l’armée républicaine dans sa totalité voire sa majorité, et les atrocités régulières permanentes d’une armée fasciste qui attaque et agresse la population ?

Il ne faut pas oublier que l’Etat espagnol est, après le Cambodge, le pays à avoir le plus de disparus. On en compte au moins 150 000.

Le texte de ce panneau de présentation se termine ainsi : « La guerre d’Espagne développe un mélange d’idéalismes contradictoires qui, aujourd’hui, bien qu’ils semblent loin de nous dans la forme, ne sont pas si éloignés sur le fond »

«Idéalismes contradictoires» :  le message est subtil mais il fait penser à la tendance actuelle à mettre à égalité extrême droite et gauche radicale et à rendre « respectable » l’extrême droite.

La visite à l’étage abonde dans ce sens. Elle s’ouvre sur une « fresque » géante du défilé de l’armée de Mussolini à Barcelone.

Mais rien de la Retirada, rien de ces 500 000 hommes, femmes et enfants qui se sont exilés dans le pays des droits de l’homme pour finir dans des camps de misère. « Campaña n’a pas réussi à immortaliser les interminables files de réfugiés… » nous dit le texte. Cependant on voit la photo d’un soldat franquiste qui observe le village de Cerbère, et celle d’un soldat franquiste qui parle avec un gendarme français, en mars 1939… donc il était là…??

A mi-chemin de ce parcours, nous voyons une « belle » plaque en marbre : « Plaza del Caudillo ». Un petit mot à côté nous suggère de regarder derrière et voir cette plaque avant la victoire de Franco. Si on s’attarde à regarder, il est écrit : « Plaza de la República ». Est-ce qu’il n’aurait pas été possible de faire l’inverse ? Rendre bien visible « Plaza de la República » et suggérer de regarder derrière à ceux et celles qui le voudraient ? Le message n’aurait pas été le même… La seule présence de cette plaque donne mal au cœur à celles et ceux qui ont souffert du franquisme del « Caudillo » : elle nous rappelle qu’encore aujourd’hui des citoyens et citoyennes se battent dans l’Etat espagnol pour faire enlever plaques, noms de places et de rues « mémoire » d’un fascisme qui a duré plus de 35 ans… comme un fantôme qui revient… parce que, peut-être il revient…

A la fin de cette expo, nous quittons le lieu avec le goût amer et révoltant d’un portrait de Pétain aux grandes dimensions qui semble nous dire : « Voilà !  Je suis de retour! » . Quel besoin de mettre en clôture cette image, qui n’est pas de Campaña, alors que ce portrait est déjà présent dans une photo avec l’écriteau : « Portrait du Maréchal Pétain au Parc des expositions de Barcelone » ?

Les interprétations sont ouvertes, mais, même si ce n’est pas la « volonté » des organisateurs de l’exposition, nous ne pouvons que faire le lien avec la réalité actuelle dans l’Etat espagnol et dans d’’autres pays d’Europe, où la place de l’extrême droite dans la vie politique devient « normale », au point de faire partie des gouvernements (nationaux ou régionaux) sans grande gêne.

En ce qui concerne l’Espagne, les associations qui essaient de mettre en place la « mémoire historique » voient leurs initiatives freinées de tous les côtés, et leurs subventions réduites voire carrément disparaître, là où le PP (héritier du franquisme) et Vox (parti fasciste) ont pris le gouvernement. Pour ne pas parler d’autres mesures propres à l’extrême droite (attaque du droit de femmes, place de l’Eglise…).

En ce qui concerne la France, nous entrons dans une période où la traditionnelle barrière républicaine aux positions d’extrême droite n’est plus à l’ordre du jour, voire l’inverse… Toute alliance politique est possible. Il n’y a qu’à se rappeler les dernières élections des députés et ce qui s’est passé au deuxième tour…

Le message de fond de cette exposition semble être en miroir avec le message des pouvoirs actuels, qui consiste à nous dire, grossièrement ou subtilement, que toutes les politiques et toutes les idéologies sont pareilles avec du bon et du mauvais, qu’il s’agit d’une diversité d’idées… Petit à petit on nous inculque que l’idéologie d’extrême droite montre des dérives « normales », comme celle de « certaines gauches », qu’elles sont respectables dans le jeu démocratique… (Aujourd’hui encore, la presse écrit que Macron propose des rencontres avec « l’arc républicain », initiative excluant à la fois le RN et la FI).

De notre point de vue, c’est gravissime car tout ceci imprègne la pensée collective de manière sibylline et s’enracine dans le discours social.

Par cet écrit nous souhaitons alerter …

Les Républicaines et Républicains disaient « No Pasarán !!! »

Mais ils sont passés, et si on ne fait rien, les pouvoirs d’extrême droite, les fascistes, Pasarán!!!

Lina Angles

Marité Beiras Torrado

Lina Angles, née en France, fille d’un républicain catalan exilé.

« Après Madrid, l’Ebre et El Segre mon père et ses compagnons ont rejoint la frontière pour échapper aux nationalistes. C’est au camp de Septfonds qu’il a été enfermé jusqu’au 4 octobre 1939, après s’être échappé de la ferme où il avait été placé pour travailler et où il était maltraité. 30 ans sont passés. 30 années où il a construit sa vie, sa famille sans oublier son passé, sans oublier de nous dire l’amour qu’il avait pour son pays, son village, sa Catalogne.

Toutes les occasions sont bonnes pour moi pour me plonger dans ce qui fut son histoire et pour comprendre. Je suis donc allée voir l’exposition AntonÌ Campañà, cet homme qui est né tout près du village de la famille à Arbucies. La déception n’en fut que plus amère. Les photos ? Certes elles sont belles et intéressantes mais les commentaires…

Non, on ne peut mettre sur le même plan les victimes et les bourreaux. On ne peut pas légitimer un coup d’état fasciste contre une république légalement acquise. Et puis sous prétexte de ne pas tomber dans les habituelles représentations de la Retirada que je préfère qualifier d’exode, les scénaristes n’en montrent pas une seule image si ce n’est celle d’un gendarme qui accueille un phalangiste avec le sourire. Le clou de l’exposition, enfin, c’est le grand portrait de Pétain qui nous nargue comme un air de revenez-y.

Mesdames et messieurs les responsables de la municipalité, il est temps que vous appreniez l’histoire.»

Marité Beiras Torrado. née en Galice sous le franquisme.

« Galicienne, née en 1952., sous un franquisme reconnu et béni par la diplomatie internationale. Sous un franquisme qui continuait à réprimer, torturer, emprisonner et tuer jusqu’à la mort de Franco (1975). Les derniers maquis galiciens ont résisté jusqu’aux années 50. Les derniers assassinés par Franco, fusillés pour l’un («Txiqui», Juan Paredes Manot), condamnés au « garrotte vil »  pour les autres, c’étaient en 1974-75 (Puig Antic, Angel Otaegui, José Humberto Baena, Ramón Garcia Sanz, José Luis Sanchez Bravo)

Un franquisme qui jusqu’aux années 75 (voire plus) a volé les enfants des femmes républicaines emprisonnées, à l’aide de « bonnes sœurs » et des médecins franquistes…

Une transition dite « démocratique » qui a béni la monarchie réinstallée par Franco et décrété une loi d’amnistie pour tous les Franquistes. Franquistes qui sont restés dans l’administration de l’Etat, la Justice, la Police, les Finances… Partout… Ce qui fait que le franquisme n’a jamais disparu…

Un Roi « Emérite », Juan Carlos qui n’est pas poursuivi malgré toutes les corruptions reconnues, « exilé » dans les Emirats mais cet été en « vacances » en Galice…

Et tant de faits que j’aimerais encore dénoncer! »

Pour avoir vécu sous le franquisme et lutté contre pour l’une, et pour avoir vécu la guerre et l’exil à travers l’histoire familiale pour l’autre, nous avons UNE MEMOIRE CLAIRE de ce qu’a été la terreur franquiste. Et si nous nous décidons à écrire aujourd’hui c’est parce qu’il nous semble nécessaire de réveiller cette mémoire collective à un moment où tout est fait pour qu’on OUBLIE.

Montpellier 03 août 2023

La fille d’un républicain espagnol, exilé en France, témoigne de sa visite à l’expo :

En accord avec les nombreuses critiques lues dans le livre d’Or de l’exposition en cours, je tiens à faire part de ma sidération et colère à la lecture des commentaires. La qualité des photographies de Campana est réelle et n’est pas la cause de ma colère ni de mes interrogations.

1 – Dès l’entrée, sur le panneau « Contexte Historique » il est écrit : «  – Terreur rouge républicaine, terreur blanche franquiste ». 

Comment peut-on renvoyer dos à dos des républicaines et des républicains qui défendent un gouvernement démocratiquement élu et une coalition militaire fasciste qui prend le pouvoir par les armes (Bien aidée par Mussolini et Hitler) et qui installera une dictature féroce de presque 40 ans ?

Toujours dans le même « Contexte historique », il est écrit : « Idéalismes contradictoires » et dans la partie n°16 de l’exposition, « Comparatifs », on peut aussi lire : « Utopies divergentes s’entremêlèrent ». Peut-on parler d’IDEALISME et d’UTOPIE pour le fascisme ? Les exécutions sommaires, les assassinats en grand nombre (entre 500 000 et un million de morts), les représailles, la torture, les jugements hâtifs par des tribunaux militaires, l’exil pour plus de 400 000 personnes, les milliers de bébés volés à la naissance avec la complicité de médecins et des religieuses, la privation de liberté, la censure totale, l’interdiction de faire grève et de toute opposition… Est-ce cela une Société Idéale ? Ou bien une véritable horreur ?

S’il y avait de l’idéalisme et de l’utopie, ils étaient du côté de toutes ces femmes et hommes, simples citoyennes et citoyens (anarchistes, trotskistes, communistes, socialistes) qui luttèrent pour la Liberté, La Justice Sociale, la Solidarité… Pour un Monde meilleur. Est-ce utopique de lutter pour ces valeurs ?

2 – Peut être qu’un petit rappel des forces en présence aurait été utile, une très grande partie de l’armée espagnole qui a aidé dès le début Franco contre un gouvernement démocratiquement élu, de même pour L’église, l’aristocratie et les grands industriels. Insister davantage sur l’aide très importante en soldats et armements du fasciste Mussolini et aussi d’Hitler. Ces éléments expliquent peut être la victoire de Franco et quel était son camp et ses valeurs.

Aucune légende, aucune photo des Brigades Internationales ? 50 000 femmes et hommes venu(e)s en Espagne, du monde entier avec pour seule arme leur courage et leur désir de lutter pour défendre la liberté et pour un monde plus juste. Beaucoup y sont morts.

3 – Reprendre tous les commentaires serait trop long et fastidieux. C’est le travail d’historiens spécialistes de l’Histoire de l’Espagne du XX e siècle. Les titres n°8, page 16 du petit carnet (Propagande) et aussi n°14, page 19 (Manipulations) me semblent assez adaptés aux légendes de cette exposition. Comme il est, fortuitement, écrit page 11, « Celui qui écrit la légende s’approprie toujours l’image ».

Dans le film de Resnais : « Nuit et Brouillard », les images sont insoutenables mais les commentaires nous informent et font œuvre de pédagogie. Le rôle du Pavillon Populaire à travers ses belles expositions de photographies n’est il pas de faire œuvre de pédagogie ? Je pense à toutes ces personnes qui viennent voir cette exposition et qui repartent avec une image tronquée, fausse de la guerre d’Espagne.

4 – Ces commentaires n’auraient pu être écrits il y a une dizaine d’années sans une levée de boucliers.

Comment comprendre que de tels commentaires aient pu être lus et approuvés par tant de

personnes (voir page 22) sans qu’aucune ne réagisse ? N’y a-t-il pas à Montpellier des historiens spécialistes de la Guerre Civile espagnole ?

Cette Exposition et surtout les légendes qui l’accompagnent s’inscrivent dans une période trouble de montée de l’extrême droite dans de nombreux pays. Et aussi de réécriture de l’Histoire. Certains osent même dire que Pétain aurait sauvé des juifs. De nombreux médias déversent leur haine et leur racisme sans aucune sanction. Des milliers de réfugiés meurent tous les ans en méditerranée avec la complicité de nombreux gouvernements. Des écologistes sont assimilés à des terroristes. ..

Quelle inversion des valeurs !

Pourquoi pas une prochaine expo sur le Chili des années 70 intitulée : « Terreur rouge d’Allende… Terreur Blanche de Pinochet » ? Ou bien sur la seconde guerre mondiale : «  Terreur rouge des résistants… terreur blanche des nazis » ?   

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