Carnet de voyage de Ja’mi : KOS toujours

Ja’mi est militant du Collectif montpelliérain de solidarité avec le peuple grec.  Il a passé une quinzaine de jours sur l’île de Kos, jumelée avec Montpellier . Le Collectif a envoyé  fin septembre une lettre ouverte à Philippe Saurel l’interpelant sur l’absence de solidarité avec Kos. Lettre sans réponse. Ja’mi a tenu un carnet de son voyage en Grèce et à Kos.  Merci de nous avoir permis de le publier.

 

La lettre à Philippe Saurel 

 

KOS toujours 

Athènes, vendredi 2 Octobre 2015

Finie la rigolade, l’automne ne fait que débuter en Grèce… Coïncidence de saison, une petite fraîcheur semblait avoir sérieusement gagné Athènes, ces jours-ci. Mais il en faudrait bien davantage pour décourager les hordes de touristes que même une TVA à 23% ne semble pas avoir refroidis. Tant mieux pour le pays qui, regorgeant de soleil autant que de trésors archéologiques notamment, en tire l’essentiel de ses revenus. Il est vrai, souvent aux limites de l’overdose due à l’hyper-industrie touristique ! Pour le visiteur qui débarque difficile de détecter aux premiers abords les signes d’une gravissime crise socio-économique. Du moins en plein centre d’Athènes, apparemment sillonné par autant de pauvres à faire la manche qu’à Paris.
 Demeure même une impression d’intense et légère douceur de vivre tant semblent ne jamais désemplir les vastes et innombrables terrasses de cafés-restaurants. Mais bien sûr, comme partout, il suffirait de s’éloigner en périphérie ou, mieux encore, de séjourner longtemps dans le pays pour voir, ça et là, la misère découlant d’interminables années d’austérité néolibérale. Saisir les affres de “la vie qui va”…. pas toujours comme le racontent les cartes postales.
 Car, en surcroît de la crise sociale et “économique”, la Grèce, de par sa position géostratégique, doit intégrer celle -tout aussi submergeante- posée par les flux incessants de réfugiés fuyant les misères du monde actuel (politiques, climatiques, socio-économiques…). En particulier ceux du (si) Proche-Orient.
 

(Île-de-KOS, samedi 3 Octobre 2015)

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 Kos fait partie du Dodécanèse (archipel de 14 et non 12 îles flanquées contre l’Anatolie) que l’on connaît bien depuis les premières “arrivées” massives de réfugiés au printemps et -plus récemment- la mort d’un petit enfant sur une plage de Bodrum, située à 5 km “en face”.
Assis à pianoter ce texte, je lève mon nez et vois passer de petits groupes de gens silencieux mais pas rompus. Des réfugiés, anonymes héros modernes rescapés des tout premiers enfers, en route vers le port. Peut-être pourront-ils embarquer assez vite (après quelques jours d’attente au lieu de plusieurs semaines, début 2015) à bord de ferries directs vers Le Pirée, le port d’Athènes. De là par “migration encadrée” (trains et cars) vers la Macédoine et ensuite… au “bon gré” (souvent reticent voire cruel) des gouvernements d’Europe centrale sur la route de quelques “eldorados” britannique, allemand ou scandinave.
En parallèle des moyens mis en action par les autorités politiques concernées (gouvernement .grec, UE et HCR), des mouvements de solidarité ont vite vu le jour en Grèce. Sentirait-on ici la guerre qui sévit… à proximité (cf.Syrie et Ukraine) ? N’aurait-on pas ici complètement “oublié” l’Histoire nationale des deux siècles écoulés, truffée de guerres, de dictatures et autres occupations étrangères ? Les (petites) gens, confrontés aux affres de l’austérité depuis plus de CINQ ans, ont-ils su garder vif le réflexe solidaire de s’identifier à plus démuni que soit ?
 Un de ces mouvements, l’association “Solidarité pour Tous” à Athènes, m’a aidé à entrer en contact avec des gens du Dodécanèse. Plus précisément des habitants de KOS puisque l’île natale d’Hippocrate a depuis les années-60 son chef-lieu éponyme jumelé avec MONTPELLIER, siège d’une des plus anciennes Facultés de médecine d’Europe. Une occasion citoyenne pour nous-autres Montpelliérain(e)s de “donner corps” à un jumelage qui roupille… tout comme les maires théoriquement concernés ? Une occasion citoyenne de “marquer le coup” concrètement de la solidarité vis-à-vis d’un coin de cette Grèce si durement frappée et pour longtemps encore ?
 Voilà pourquoi, gonflé d’espoir autant que de trouille, de doutes et de culot -tel un Tintin (ou Astérix) égaré en terres helléniques- je viens ici observer autant que mettre la main à la pâte aux côtés de gens courageux et généreux qui parent au plus urgent (qu’on ne laisse pas les gens, grecs ou pas, mourir comme des bêtes !) en attendant que les autorités politiques (gouv. grec, UE, HCR/ONU…) jouent enfin pleinement leur rôle.
 

1ère semaine d’Octobre 2015

“Nom de Zeus ! Avons-nous prévu un stock assez conséquent de sandwichs, de couvertures, de vêtements secs, de médicaments premiers-soins et surtout d’eau minérale à distribuer jusqu’à l’aube ?”

Telle est, à mesure que s’installe la nuit, l’obsédante question ressassée par les bénévoles de “KOS-Solidarity”, petite association crée dans l’urgence du printemps 2015 par une poignée de fadas, généreux et inventifs avec qui on a vraiment plaisir à travailler.

Postés de minuit à 8h (heure d’ouverture des services de police des frontières), environ 10 bénévoles se relayeront pour assurer les premières tâches de veille et d’accueil des rescapés de la périlleuse traversée maritime. La côte anatolienne n’est certes distante que d’à peine cinq kilomètres mais….”à vue” et qui plus est de nuit, sans connaissances ni instruments, carrément follement risqué.

Cette nuit donc encore jailliront de l’ombre des dizaines, non des centaines d’êtres humains d’Orient et d’Afrique, par chance sains et saufs mais exténués, déshydratés et transis de froid après des heures d’angoisse et littéralement de galère (“à la rame” puisque très vite débarrassés/abandonnés des “passeurs” et de leurs fructueux moteurs hors-bord).

 

Malgré le concours ponctuel d’organisations caritatives (principalement des Canadiens, des Néerlandais ou des Suédois, souvent d’origine grecque), la situation sur les deux seules plages septentrionales, qui face à Bodrum bordent la ville de Kos, demeure extrêmement dure à gérer pour les “acteurs” de “KOS-Solidarity”.

Et pour longtemps encore !

 

Mais auparavant, un mot ou deux pour “présenter” l’île de Kos.

Elle est peuplée d’environ 34 000 habitants mais double (ou triple ?) entre Mars et Novembre dû aux multiples activités d’un tourisme omniprésent. “Premier employeur” local, ce qui ne signifie pas toujours “bon payeur” : une guide diplômée me racontait son très banal parcours du combattant auprès de trois agences, grassement enrichies en fin de saison mais perfidement déterminées à ne lui verser ses dus que sous 6 mois pour ne pas dire aux calendes… 

En outre l’agriculture, bien présente et  – semble y-il –  raisonnée, contribue à nourrir une population traditionnelle à fortes solidarités familiales. On ne meurt pas de faim, même parmi les Tziganes dont,  au retour d’une rando vers le sommet de l’île (846m), j’avais aperçu un des pauvres campements retranchés au milieu de monceaux de ferraille.

Évidemment  quand tout cela ne suffit plus, on s’expatrie d’abord vers Athènes puis quelque Far (north)-West. Du reste, les flux des réfugiés suivent des caps similaires mais pas… aussi directs.

Globalement tout de même, sur cette île, la “crise” paraît moins rude qu’en Grèce continentale où le réseau “Solidarité pour Tous” partout déploie de vastes et courageuses actions d’urgence, principalement dans les grandes zones urbaines comme Athènes et Salonique. Cela non pour se substituer à l’État asséché par les mémorandums successifs mais au moins pour en pallier les manquements grandissants, donc limiter la casse sanitaire et sociale.

 

En lien direct avec ce réseau, mais sous la pression des événements, “KOS-Solidarity” s’est très vite retrouvé contraint d’inverser priorités et agenda en portant d’abord massivement secours aux Réfugiés. Et “plus tard” aux Îliens.

Non que certains parmi ces derniers ne pâtissent pas de la crise mais, par “réflexe”, c’est d’abord vers l’Eglise orthodoxe (rattachée à Constantinople/Istanbul et non Athènes dans le Dodécanèse) qu’ils accepteront les premières aides discrètes (repas…).

On a du mal à imaginer, en France par exemple, les rôles supplétifs majeurs joués par le clergé grec dont on sait juste qu’il ne paie pas d’impôts. Au fil des siècles de guerres et d’occupations étrangères (ottomane, austro-germanique, britannique…), il a pu/su ainsi concrètement contribuer à la “préservation ” des culture et traditions nationales grecques.

 

Résumons côté-aides à Kos : clergé local, “KOS-Solidarity”…. mais que fait la police ?

Comprendre, les services municipaux : RIEN ! La Mairie revendiquée “apolitique” (ex-PASOK) freine des quatre fers face aux “évènements atypiques”. Dans les premiers temps, le maire aurait même imprudemment  “misé” sur les réactions d’antagonisme ethnique primaires déjà largement distillées par l’extrême-droite. Ici aussi le parti néo-nazi, habillement nommé “Aube dorée”, réalise quelque score.

Circulez, y a rien à voir !

Absolument aucun moyen logistique déployé, pas le moindre vaste local ni proposé ni réquisitionné, ce qui est criminel à l’approche des saisons froides et face à  l’afflux incessant de migrants de tous âges. De fait, seuls les aveugles n’auront pas encore vu ces campements à même le sol, tout près du port en plein centre-ville   -ce qui ne semble guère perturber les touristes scandinaves dont les pistes cyclables longent ces étranges abris de toiles multicolores. Exotique ?

 

Si le flux des réfugiés ne baisse pratiquement pas, l’UE et le HCR/ONU petit à petit ont mis la main au portefeuille pour épauler les autorités grecques (gouvernementales, pas municipales hélas) pour “améliorer” les choses. Mais juste… sur le plan administratif.

Les réfugiés ne “stationneront” désormais sur l’île qu’entre 2 (pour les Syriens) et 10 jours au lieu de semaines entières, il y quelques mois encore. Cela avant de pouvoir légalement embarquer vers Le Pirée (env. 9h de traversée, sûre cette fois !).

Si… bien sûr et seulement s’ils parviennent individuellement à régler les 50€ du “billet économique”.

Marche ou crève, ça continue. Mais sans les bombes, toujours ça de pris !

 

 

 

Grèce, 2ème semaine d’Octobre 2015)

Outre ce “feu vert” purement administratif, aucune aide matérielle n’est prodiguée. Aussi disposer d’une centaine d’euros par réfugié semble le minimum juste pour couvrir les frais de transports en Grèce (bateau + train ou autocars qui d’ailleurs pullulent à la gare maritime du Pirée vers la Macédoine). Pour tenir le choc face aux galères de la migration, mieux vaut dès le départ s’être doté de conséquents moyens pécuniaires ou bien de bénéficier de soutien(s) divers en route. Tout cela  -in fine-  fait bel et bien prospérer une vaste économie parallèle à l’échelle planétaire, depuis les vastes réseaux (plus ou moins mafieux) de passeurs quasi incontournables jusqu’aux petits vendeurs locaux de simples bouteilles d’eau à prix doublé. Rien de nouveau à l’Ouest (ni au «Sud»), si tu es pauvre tu ne peux qu’avancer à la force de tes mollets ou bien crever au pays, de faim ou sous l’oppression.

Sur un des ponts supérieurs du ferry, j’engage la conversation le plus souvent en anglais avec quelques réfugiés qui d’emblée m’ont reconnu  – superbe et inattendue récompense des soins prodigués notamment pendant les longues nuits de veille.

Celle-ci me semble calme et propice pour des adieux. Pas facile du tout, Yorgos, l’un des fondateurs de “Kos-Soldarity” nous avait bien prévenus : à s’entraider à fond pendant quelques jours (ou quelques semaines), de petits liens se tissent entre nous tous, bénévoles et réfugiés, hologramme de l’Humanité, avec ses individus énergiques, timides, courageux, malins, filous, optimistes, floués… originaires ou bien de l’Écosse à la Grèce ou bien du Sénégal au Bangladesh.

 

Un Syrien d’Alep me raconte sa fuite récente avec son fils de 15 ans. Récit ponctué de brefs silences quand, le regard figé vers le bas comme pour toucher la masse mouvante des flots, il évoque son “arrivée” à Kos, en début de semaine dans le froid du matin. Sept heures de cauchemar pour lui et une quarantaine de compagnons d’infortune entassés sur un rafiot… prévu pour moitié moins. Après le “départ” du passeur, plus rien à attendre autre que désespérément ramer en faisant bloc derrière le plus téméraire, jusqu’au bout de la nuit “cramponné” au cap (comment ? à vue ? ou à l’aide d’un téléphone mobile ? Sur le coup, je n’ai pas songé à l’interrompre).

 

Un peu plus tard des jeunes, “contactés par un réseau” au sein même de leur village au Pakistan, me détaillent leur parcours à pied, en car ou en camion. De planques en planques jusqu’aux montagnes du Kurdistan iranien et enfin les bords de la Mer Égée. Un soir, le (x)ème passeur les conduisit sur une plage déserte à quelques kilomètres de Bodrum pour, entre deux passages réguliers des gardes-côtes turcs (repérables depuis Kos même), les “expédier” sur un canot avec des migrants de cinq ou six nationalités différentes. Horreur et hantise de chavirer jusqu’au moment où, suffisamment à proximité de Kos, ils décidèrent de taillader eux-mêmes leur pneumatique… sachant bien que, selon Frontex, les gardes-côtes grecs, au lieu de repousser au large, se doivent de porter aide et assistance à toute embarcation manifestement en péril. De fait, les rivages-nord de Kos sont encombrés de tas de toiles-plastique en lambeaux.

 

A contrario de tous ceux-là, d’autres    -pas aussi rares qu’on pourrait le penser-  ne garderont de la traversée que le souvenir de la peur, du froid et du fort tangage, pas spécialement de la durée : normale, à peine une heure et demie. Cherchez l’erreur. Juste un passeur… consciencieux (avec moteur hors-bord) qui “livre à destination”, au risque (du métier) de finir sa vie en taule pour trafic si repéré et (r)attrapé par les gardes-côtes turcs ou grecs. A Kos j’ai entendu dire que certains passeurs, pour n’être ni vus de trop près ni donc identifiables, pouvaient, le cas échéant, avoir la gâchette facile…

 

Et bien sûr, on ne peut oublier tous ceux qui n’en réchappent pas et dont, le jour venu, on retrouve cadavres ou embarcations…

 

Au fil de la nuit, les rescapés éreintés, déshydratés, choqués, trempés, transis de froid surgissent de l’ombre des plages comme des zombies. En majorité des hommes mais aussi des familles entières avec enfants en bas âge et parfois même des femmes enceintes ! Jusqu’où donc le désespoir et/ou l’instinct de survie peut-il pousser la nature humaine ?

N’était le faible va-et-vient des voitures de touristes entre discothèques et hôtels (un monde parallèle), c’est vers une petite ville endormie qu’ils cheminent par petits groupes. Tous «savent» (le «téléphone arabe» s’appelle «facebook» ; beaucoup sont équipés de mobiles) l’existence, au centre du bourg, du poste de veille de “Kos-Solidarity”.

Début de l’histoire du Réfugié-Lambda (tragédie grecque oblige) qui rencontre le Bénévole-Thêta.

 

Des gestes simples. Quelques mots d’accueil (selon l’intuition en anglais, arabe, hourdou, persan ou français) en couvrant d’un plaid des épaules fourbues. Offrir de l’eau, des biscuits ou du pain. Fournir si possible chaussures et vêtements secs avant d’indiquer où enfin aller dormir. Dans un des 4 ou 5 proches hôtels (sur la multitude que compte l’île) “solidaires” à prix très très bas pour ceux qui le désirent, “réfugié”ne signifiant pas systématiquement “pauvre”. En outre “Kos-Solidarity” en liaison avec MSF (Médecins-sans-Frontières) paient pour les femmes et les enfants. Le reste des hommes s’installe sous tentes, en plein centre-ville, à proximité du port ou bien dans un parc délaissé, malencontreusement dénommé “The Jungle”… Normal, dans ces campements improvisés, seulement deux points d’eau et tout de même plusieurs cabines-WC. A l’origine pour les touristes, merci la Mairie !

De petits gestes et des actions simples, presque dérisoires eu égard à la croissance des besoins en nourriture, par exemple. Mais on n’a pas idée de ce qu’ils impliquent en amont : des heures interminables à trimer dans tous les sens et dans l’urgence. Un boulot inouï que… chaque jour il faut inlassablement recommencer. Désespérant mais indispensable, donc… on continue !

 

Qui sont donc les forcenés de “Kos-Solidarity” ?

 

Au départ, à peine une quinzaine de copains (l’île étant petite, tous se “connaissent”). J’ajoute, des gens hors du commun dont le fameux Yorgos, prof de physique au lycée mais aussi Kiki, Elena, Kosta, Athena, Pitsa, Elias, Zina… en plus d’autres Yorgos (prénom très courant). Des jeunes, des vieux, des femmes au foyer, des retraités, des chômeurs… Plutôt anars ou de gauche radicale, peu en deça ! Au printemps dernier, en plein espoir-Syriza, éberlués de constater l’inactivité de la municipalité (ça continue !) face au flux régulier de réfugiés vers Kos, ils décidèrent de parer eux-mêmes au plus urgent (soins, nourriture, vêtements) avant même de songer à se constituer en association (presque fait maintenant, important pour l’avenir). Après leur travail s’ils en avaient un, depuis lors tous sans compter ont pris sur leur temps de sommeil pour parvenir chaque jour à cuisiner de grandes quantités, courir récupérer partout des vêtements et trouver où prodiguer quelques soins (il y a un hôpital à Kos, tourisme aussi oblige).

Ils n’allaient plus «tenir» longtemps face à l’ampleur du phénomène migratoire quand celui-ci creva enfin les écrans du monde entier. Réseaux divers comme “Solidarité pour Tous” et planète-internet aidant, dès l’été des jeunes et d’autres moins vinrent principalement d’Europe offrir quelques jours ou semaines afin de renforcer le noyau de “Kos-Solidarity”, à bout de souffle. Jusqu’à présent, le nombre de bénévoles varie entre 20 et 50, ce qui reste peu compte tenu des centaines de nouveaux arrivants par certaines nuits et de la multitude des tâches qui en découlent.

 

Un rien d’ambiance «Brigades internationales» ou bien «l’Europe, la vraie» à large majorité féminine et jeune, étonnant non ? Seul bémol, la langue commune utilisée : au lieu de l’Espéranto “égalitaire” (encore faut-il en prendre conscience), la langue du système globalisé, imposée à 92% des non-anglophones de la planète.

Alors de mémoire (qui flanche) : Veronika, Viktor et Emma (Suède), Jojo, Moira (Écosse), Louise, Ana et Claire (Angleterre), Gwen, Fabio et Nicholas (Allemagne) et Joos (Pays-Bas)… pour ne citer que ceux avec qui j’ai participé presqu’à toute sorte de tâches chrono-voraces.

Par exemple, au moment où l’équipe de nuit se retire épuisée, une autre «organise» la distribution du «petit-déjeuner» (un croissant emballé sous plastique, minimum du minimum garanti) malgré les inévitables bousculades plus ou moins contrôlées aux campements… Quelques heurts mais rares, un chaos ordinaire tout au plus.

Procéder ensuite aux achats (grandes quantités, coûts moindres) puis, à la hâte dans une ancienne boutique des heures durant, tartiner, garnir et emballer plusieurs centaines de sandwichs prévus pour la (maigre) collation de 18h, aux mêmes endroits.

Ou bien, pas loin, dans un local commercial fermé depuis des mois, aider d’autres bénévoles à trier sans fin (par âge, taille, sexe…) des montagnes de vêtements et de chaussures de récupération, à proposer dès la première «rencontre» (c’est-à-dire «ce soir encore») et, selon les besoins et l’offre, avant le départ final vers Le Pirée.

 

L’avantage étant qu’ainsi les anciens, les plus chevronnés de “Kos-Solidarity”, en liaison avec le HCR et sa palette d’interprètes, auront pu accompagner chaque réfugié pour les quelques démarches administratives. Ou préparer la réunion quotidienne de tous les bénévoles disponibles, à 21h dans l’arrière-salle d’un restaurant. Ou bien encore, plus gravement, ébaucher des réponses à la déjà pressante question «comment passer l’hiver ?». En termes de finances autant que de bénévolat hors période touristique…

 

Enfin, s’il reste du temps malgré la fatigue accumulée, il est bon de bavarder un instant au gré des rencontres en ville. Entre nous, bénévoles ou avec deux ou trois réfugiés. Des Ivoiriens, Sénégalais et même Iraniens ou Afghans (excellent pour dérouiller mon persan) j’ai appris un peu plus du quotidien de leurs pays officiellement «non en guerre».

La guerre, on la fuit avec son cortège de «bombes». Que dire de celles «à retardement» que sont celles, au Nord comme au Sud, dues aux «no future», aux misères politique, socio-économique, climatique, ethico-religieuse, sexuelle… qui poussent à fuir ?

Au moment où la planète n’a jamais été aussi riche … essentiellement pour 1 à 10% des Terriens, que dire alors des certitudes sédentaristes qui font loi (et… surtout rire les oiseaux) : frontières, murs et autres «propriété privée, défense… de partager» ?

 

 

Hé là, où suis-je donc ? Déjà arrivé au Pirée ? Non, à Orly !

Une première vague de froid s’est abattue sur toute la France. Je relève mon col et… pense à ces sœurs et frères anonymes qui, dans des conditions bien pires, s’échinent à traverser les Balkans, peut-être bientôt les Alpes, comme tout un chacun le ferait à leur place, non ? Combien réussiront pleinement ?

Un jour en reverrai-je au moins un(e) seul(e) ?

Probablement pas mais pour l’heure je ne cesse de penser sincèrement « Kos sont-ils devenus ? »

 

Alors une belle image en guise de fin, celle d’une formidable ONG suédoise, venue apporter chaleur et savoir-faire sanitaire carrément cinq nuits d’affilée aux côtés de “Kos-Solidarity”. Composée à 90% de jeunes… d’origine kurde, des femmes en particulier. En 1991, à la fin de la 1ère guerre du Golfe, leurs familles réussirent à fuir malgré les bombardements chimiques du dictateur vaincu mais non destitué, Saddam Hussein. Mêmes «routes» d’exil qu’aujourd’hui via la Turquie, la Grèce… jusqu’en Suède. Tout bébés alors ou carrément nés bien après entre Stockholm et Malmö, ils sont venus (et reviendront) à Kos se «souvenir» en agissant…

Il y a des jours où on se sent… Kurde et Suédois !

 

Ja’mi

 

 

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