Guerre d’Algérie. Toujours là, dans la tête, 50 ans après…

J-M Brunel : « On est partis jeunes, on est revenus vieux » (L’Hérault du jour)

« On est partis jeunes, on est revenus vieux ». Au milieu, il y a
l’Algérie. 24 mois tatoués à jamais sur la peau du souvenir. 50 ans ont
beau s’être écoulés, le Lunellois Jean-Marie Brunel aura toujours,
quelque part dans sa mémoire, 20 ans dans le petit village de Palikao.
Appelé du contingent au sein du 62ème Régiment d’artillerie.
« A l’époque, les journaux ne parlaient pas de guerre mais de maintien
de l’ordre », se souvient-il. Aussi, fin 1959, quand il reçoit « son
billet », rien ne lui laisse entrevoir ce qui l’attend de l’autre côté
de la Méditerranée. Au départ de Marseille, il embarque sur le « Ville
d’Alger », direction Oran. Une autre Marseille : « Je n’étais pas
dépaysé ». C’est plus tard, en s’enfonçant dans les terres, qu’il
découvre « un autre monde ». Le village de Palikao (aujourd’hui
Tighenif), à une vingtaine de kilomètres de Mascara. « J’ai découvert
deux populations complètement cloisonnées. D’un côté un village à la
française, avec son église, son kiosque, son jardin et de l’autre les
Algériens, qui vivaient dans la plus grande misère, dans des maisons de
terre battue, avec des enfants pieds nus, en haillons. Sans compter les
humiliations infligées par certains militaires », se remémore-t-il.

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« Contraint et forcé » 

A cette période où le conflit touche à sa fin, la région autour de
Palikao est redevenue à peu près calme après une période de « guerre à
outrance » durant les années qui ont précédé. « Je n’étais pas tellement
exposé. En première ligne, il y avait les commandos de parachutistes,
la légion étrangère ou les commandos du régiment, dont je ne faisais pas
partie. Je ne m’étais pas engagé, j’étais là contraint et forcé »,
insiste Jean-marie Brunel. Qui estime « s’en être bien tiré ».
Mais pas sans traumatisme. Parmi ses souvenirs les plus marquants, une
opération où il a été désigné pour accompagner à la morgue de Mascara le
corps d’un militaire du contingent qu’il avait connu en France. Il y a
aussi ce compagnon appelé « qui s’est fait tuer 8 jours avant d’être
libéré ». Ou encore cette scène où un soldat des renseignements exécute
sous ses yeux un Algérien. « Tentative d’évasion », prétexte le soldat. «
Et ce n’est pas un cas unique », assure Jean-Marie Brunel.

« Un immense gâchis »

Le jeune Héraultais quitte Palikao le 19 mars, jour du cessez-le-feu. En
charge du rapatriement des hommes et du matériel en France, il reste
une dizaine de jours supplémentaires à Oran. « C’est là que j’ai entendu
le plus de coups de feu, vu le plus de morts. Il y avait des gens
abattus sur le trottoir, dans leur sang… Il faut l’avoir vécu pour le
décrire ».
Et puis il y a le retour. Tant attendu, mais si difficile. « Maintenant
il y aurait des cellules psychologiques. Là on est revenu comme si on
rentrait d’un service militaire normal. Personne ne nous a rien demandé.
Alors on a tout gardé pour nous. Il a fallu que je fasse ces
témoignages pour qu’une de mes filles apprenne que j’étais allé en
Algérie. »
Jean-Marie a retrouvé son village, qui pleurait trois appelés moins
chanceux que lui. Ainsi que sa future épouse, rencontrée lors d’une
permission. Mais jamais l’Algérie ne l’a quitté tout à fait.
Aujourd’hui, il s’est lié d’amitié avec des anciens du village de
Palikao, qui se retrouvent chaque année à Beaucaire. « Tout ça a été un
immense gâchis. Pour les pieds-noirs qui ont été déracinés, pour les
harkis, qui à mon avis ont été trompés de A à Z et pour les jeunes du
contingent qui ont péri dans une guerre à laquelle ils n’avaient pas à
prendre part ».

Illustration : Photo de gauche : en haut à droite, Jean-Marie Brunel à Palikao, en
Algérie. A côté : la cérémonie de commémoration qui s’est déroulée
lundi à Montpellier en présence de quelque 300 anciens combattants.
PHOTOS REDOUANE ANFOUSSI ET DR (L’Hérault du jour)

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