Aveu de Robert Ménard sur ses statistiques ethniques,
psychodrame familial à la tête du FN : l’extrême droite reste l’extrême
droite, mais on attend encore que quelque chose succède à l’indignation, la sidération
ou la complaisance.
Par C. Autain co-porte parole de Ensemble ! qui participait au débat TV au cour duquel le maire de Béziers a affirmé avoir recensé les enfants musulmans à partir de leur prénom. Clémentine Autain sera en meeting à Carcassonne le 12 mai.
Clémentine Autain
participait au débat TV (voir ici) au cour duquel le maire de Béziers a affirmé avoir recensé
les enfants musulmans à partir de leur prénom. Aveu de Robert Ménard sur ses
statistiques ethniques, psychodrame familial à la tête du FN : l’extrême
droite reste l’extrême droite, mais on attend encore que quelque chose succède à
l’indignation, la sidération ou la complaisance. Par C Autain co-porte parole
de Ensemble !
La séquence du 1er mai a
marqué une étape dans l’évolution de l’extrême droite française. Sidérés par ce
qu’ils relatent comme une ascension irrésistible vers le pouvoir, avec des
photos de Marine Le Pen toujours plus souriante et des interviews d’elle
toujours plus complaisantes (« Madame Le Pen, estimez-vous avoir réussi
votre 1er mai ? », interrogeait, béat, un grand journaliste peu
soucieux de traquer l’idéologie frontiste), les grands médias ont dépeint en
long et en large une saga familiale dramaturgique, aux relents psychologiques.
Les mots ont changé, pas l’idéologie
Du fond du discours de
Marine Le Pen, il n’a pas été question. Or, si la fille s’est dégagée du père,
si elle a réussi à donner un visage ripoliné au FN, à se dissocier des
outrances négationnistes et racistes les plus inadmissibles de Jean-Marie Le
Pen pour la France d’aujourd’hui, la filiation politique reste intacte. La
suspension du père du FN parfait la stratégie de Marine Le Pen qui espère ainsi
marquer une rupture à même de la propulser à l’Élysée. Et puis, l’extrême
droite aime la discipline et le culte du chef. Marine Le Pen ne déroge pas à la
règle. En sanctionnant son père, elle s’est affirmée comme leader suprême du
FN. Il n’y a pas de place pour deux chefs à l’extrême droite. Ce sera donc
elle. Quelle différence ?
Oui, les mots ont ici et là
changé, les croix gammées et les crânes rasés sont mis de côté au profit de
profils politiques plus classiques, plus technos, à l’instar de l’énarque
Florian Philippot. Mais le cœur idéologique reste intact. L’ennemi de l’intérieur
reste là : il n’est plus le juif des grandes heures antisémites du FN,
mais le musulman qui envahit le pays. La glorification d’une France éternelle,
blanche et chrétienne, est intacte. La préférence nationale, qui est en réalité
une préférence raciale, demeure l’alpha et l’oméga du récit frontiste.
Robert Ménard, qui n’est
pas au FN mais l’un de ses plus fidèles représentants, maintenant maire de Béziers,
vient d’en donner une triste illustration. Sur le plateau
de Mots croisés lundi soir, il avoue sans fard avoir compté
les élèves prétendus musulmans pour arriver au chiffre précis de 61% dans les
classes de Béziers. Un enfant dont le nom est à consonance maghrébine se trouve
comptabilisé comme musulman.
Guerre des identités
La stigmatisation bat son
plein, l’affront juridique et politique est de taille de la part d’un maire qui
s’agenouille devant une stèle de l’OAS et supprime le remboursement de la
cantine scolaire aux enfants de chômeurs. Si cette borne dépassée a soulevé une
large vague d’indignation et de colère, elle doit nous alerter sur les limites
profondes de la mutation tant vantée du FN.
Le projet de l’extrême
droite demeure. Il repose sur la guerre des identités. Le FN s’emploie ainsi à
diviser le peuple : dans une même cage d’escalier, un ouvrier blanc au
SMIC qui en bave doit en vouloir à son voisin de palier qui, issu de l’immigration,
touche le RSA. Il n’est pas question pour l’extrême droite de pointer l’inégale
attribution des richesses, de dénoncer les fortunes gagnées par les rentiers
qui exploitent le travail du grand nombre, mais de dresser une partie des catégories
populaires contre une autre, en fonction de l’origine, de l’identité. Avec une
méthode : l’autorité, en lieu et place de la démocratie.
C’est ainsi qu’aux élections
départementales, la deuxième proposition du FN, après la préférence nationale, était
d’en finir avec les fraudeurs du RSA. Que les deux tiers de ceux qui ont droit à
ce minimum social ne le touchent pas – par méconnaissance du dispositif et
difficultés à affronter les mécanismes administratifs – ne révolte pas l’extrême
droite. Que l’idéologie dominante, et François Hollande avec, valide comme une évidence
la jonction entre les milieux populaires et l’extrême droite en dit long sur
les impensés de fond et l’abandon des milieux populaires par les élites.
Refuser l’ordre du jour
frontiste
Mais après tout, quand
Laurent Wauquiez de l’UMP parle de « cancer de l’assistanat » et
qu’Emmanuel Macron du PS explique que s’il était chômeur, il se battrait
pour trouver un emploi, comment imaginer une opposition conséquente
et ferme à la construction idéologique du FN ? Quand les Unes des grands
hebdomadaires comme L’Express ou Le Pointsur “L’islam,
cette menace” se succèdent, tel un nouveau marronnier, qu’un député UMP
parle d’une « cinquième colonne, organisation destinée à combattre
notre pays de l’intérieur », comment s’étonner que le FN joue ensuite sur
du velours pour avancer ses thèses xénophobes ?
Dans un sondage Ipsos de
2014, on apprend ainsi que les Français estiment à 23% le nombre de musulmans
en France. D’après différentes enquêtes sociologiques, le juste chiffre se
situe autour de 8%. L’obsession à l’égard des musulmans a gagné les esprits
dans notre pays. Elle tend à se substituer aux préoccupations liées à l’égalité,
valeur à laquelle pourtant les Français se montrent attachés. Elle a pris le
pas sur la conflictualité sociale, les antagonismes de classe.
Il ne suffit pas de s’indigner
sur les plus ignobles faits et déclarations de l’extrême droite, il faut s’attaquer
au cœur de l’idéologie frontiste, refuser l’imposition de ses thèmes de prédilection,
offrir une autre vision des maux de la société et des façons de vivre mieux, de
renouer avec la fierté populaire. Mais pour cela, encore faudrait-il sortir de
la médiocrité politique et de la sidération face aux percées frontistes.
Clémentine Autain. Publié
sur le site de Regards.