« Montpellier, la ville où les discriminations ne se couchent jamais… »

Nous publions la lettre ouverte de plusieurs associations : 

“FACE
AUX DISCRIMINATIONS, ELUS, DECIDEURS, QUE FAITES-VOUS ?”

Nous,
associations et habitants de quartiers populaires de Montpellier, n’avons cessé
de vous alerter, en vain, sur les diverses discriminations qui s’aggravent
chaque jour un peu plus dans les quartiers. 
Devant
l’inertie de l’action publique, nous décidons aujourd’hui de vous interpeller collectivement
et publiquement: vous ne pourrez plus dire “on ne savait pas”.



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Nous publions ci-dessous la lettre ouverte de plusieurs associations 

FACE AUX DISCRIMINATIONS, ELUS, DECIDEURS, QUE FAITES-VOUS ? 

lettre ouverte …

 

Nous, associations et habitants de quartiers populaires de Montpellier, n’avons cessé de vous alerter, en vain, sur les diverses discriminations qui s’aggravent chaque jour un peu plus dans les quartiers.

 

Devant l’inertie de l’action publique, nous décidons aujourd’hui de vous interpeller collectivement et publiquement: vous ne pourrez plus dire “on ne savait pas”.



FACE
AUX DISCRIMINATIONS, ELUS, DECIDEURS, QUE FAITES-VOUS ?

 

Ce
texte a pour vocation de poser clairement un état des lieux de la situation qui
existe dans de nombreux quartiers populaires de la ville de Montpellier (en
particulier, Mosson, Paul Valéry, Petit Bard, Celleneuve, Les Cévennes,
Portaly, Montaubérou, Marels, Cité Gély), au sein desquels nous déplorons une
absence de mixité sociale et ethnique.


37.jpgCe
travail est le fruit de plusieurs ateliers intitulés “discriminations au
logement et autres pratiques illégales”. Débutés en novembre 2014, ces
ateliers ont réuni des professionnels représentant des associations travaillant
sur différents territoires de Montpellier, ainsi que des
représentants
d’institutions et une élue.

 

Les
constats que nous faisons remonter du terrain depuis des années rentrent
totalement en écho avec les différentes recherches en sciences sociales. Ils
montrent que la ségrégation sociale et ethnique, conséquence de multiples
discriminations, produit des effets néfastes sur tous les aspects de la vie
quotidienne des personnes et des familles (logement, éducation, droits des
femmes, santé, emploi, citoyenneté et accès aux droits…).

 

Face
à ces constats, on nous renvoie souvent l’idée que tout cela est la faute des
habitants qui voudraient vivre en communauté Chacun d’entre nous travaille
avec des personnes et familles qui pâtissent de ces situations
discriminatoires. Notre expérience est inverse: c’est le

déni
persistant des discriminations de la part des institutions, le refus d’employer
ce mot et l’instauration d’une parole sous contrôle dès qu’on aborde le sujet,
qui sont la cause majeure de la dégradation de la situation pour les habitants
des quartiers populaires.

 

Des
injustices vécues au quotidien entraînent une perte de confiance dans les
institutions, un repli sur soi (ou sur une communauté), et finalement c’est la
démocratie et la République qui en souffrent. Il est donc temps de prendre la
mesure de la situation.

Agissant
en collectif, nous sommes déterminés à nous mobiliser, à refuser le
clientélisme, et à faire entendre la parole des quartiers populaires …

Vous
trouverez dans les pages suivantes, la synthèse des constats relevés au fil de
nos rencontres.

 

 

 

Au
commencement, la question du logement social

 

L’égalité
de traitement dans l’accès au logement social reste gravement méconnue à Montpellier.
Du point de vue de la répartition qualitative et géographique de l’habitat, ce
sont toujours les personnes les plus fragilisées qui se trouvent regroupées,
catégories par catégories (
populations
d’origine étrangère, familles monoparentales, personnes handicapées, etc.),
dans les logements les plus dégradés et les quartiers les moins attractifs.


petit_bard_002.JPGLes
propositions d’attribution de logements sociaux sont à caractère ethnique. « On
culturalise, on construit des groupes ». Les pouvoirs publics confondent
volonté de vivre en famille élargie et envie de vivre en communauté. Ils
introduisent une vision coloniale et paternaliste des habitants qui classe les
demandeurs de logement sur la base de critères
aujourd’hui
illégaux.

Les
personnes subissent ce cantonnement, quartier par quartier, résidence par
résidence, comme une violence. Le sentiment d’injustice qui en découle est
puissant, il engendre une totale perte de confiance envers l’état de droit, et
laisse le champ libre à toutes les imputations, réelles ou imaginaires,
relatives aux pratiques de clientélisme, aux passe-droits, voire à des formes
de corruptions. Elles deviennent omniprésentes dans les discussions :

«…de toute façon si tu ne
connais personne ou si tu ne peux pas payer, tu n’auras pas de logement … », «
si je fais un DALO de toute façon c’est sûr, pour moi ce sera la Paillade
».

Le
poids des « délais anormalement longs » pour l’attribution d’un logement social
pèse toujours sur les mêmes catégories de population, et les distorsions à cet
égard peuvent atteindre une ampleur inacceptable (délais d’attente de quelques
mois à une dizaine d’années).

De
surcroit ces populations discriminées ont peu de perspectives d’un parcours
résidentiel promotionnel, y compris par « mutations internes », ce qui renforce
les phénomènes de ségrégations et les pertes d’espoir dans l’avenir.


Face
à cette situation, qui est notoire et constatable par tous, aucun effort
sérieux n’a été fait à Montpellier ces dernières années en faveur d’une plus
grande transparence dans le traitement des demandes de logements sociaux, alors
que de nombreuses propositions ont été faites en ce sens, et que des
expériences nouvelles sont menées partout en France.

Ici,
les procédures d’attribution ou de mutation de logement, comme les critères
appliqués ou les motifs de refus, restent totalement opaques. Le faible niveau
d’information qui est délivré au demandeur sur les conditions de traitement et
de suivi de son dossier, l’incompréhension
du
système, ne peuvent qu’alimenter les soupçons de discrimination et d’injustice.
De plus, ce défaut d’information empêche le demandeur de mettre en place une
stratégie individuelle dans sa recherche de logement.



petit_bard2_011.JPGLes
organismes HLM refusent de participer aux réunions publiques sur le logement,
de même que rarissimes sont les élus locaux qui s’engagent sur ces diagnostics
et ces réflexions. Comme le relève la Milos dans son rapport 2013 au sujet
d’ACM (principal bailleur social sur Montpellier et la région), le système
souffre d’un manque de lisibilité et de formalisation de la politique
d’attribution des logements. Les critères de priorités pour sélectionner les
dossiers sont trop nombreux et non hiérarchisés.

Ce
manque de transparence et de clarté a également des conséquences très néfastes
pour les professionnels eux-mêmes, notamment pour les personnes en charge de
l’accueil et de l’instruction des dossiers. Ils sont particulièrement exposés à
des comportements agressifs de la part des demandeurs confrontés à la
difficulté de comprendre le système. Il en résulte la fermeture de certaines
agences de proximité. Ce qui contribue là encore à la dégradation des relations
entre les demandeurs, les locataires et les bailleurs.

 

Ces
carences et dysfonctionnements dégradent un peu plus chaque jour le climat et
le lien social. Il est urgent de mettre en place, comme cela se fait dans de
nombreux territoires en France, une véritable politique visant à l’égalité de
traitement en matière de logement social, avec des engagements et des plans de
prévention et lutte contre les discriminations.

 

Les
plans de réhabilitation ou rénovation urbaine des dernières décennies ont
parfois simplement déplacé les zones dites « sensibles » et ont toujours été
conduits sans concertation ni prise en compte des demandes des habitants.

Un
des derniers exemples à Montpellier, le quartier du Petit Bard : après14 ans de
rénovation, le quartier vit toujours au milieu des travaux et le relogement n’est
pas effectif pour toutes familles. Depuis 5 mois, les travaux devant l’école
sont arrêtés avec pour conséquence des gênes très importantes et des risques
pour les familles et leurs enfants. Et lorsque les tractopelles ont redémarré,
cela a été pour le temps de la visite de la secrétaire d’état Myriam El Khomri…

 Est-ce que ce type de gestion des quartiers
populaires n’est pas un manque de respect et du dédain pour ceux qui vivent là?

 

 

Puis
viennent les questions d’éducation

 

35.jpgCette
concentration de peuplement par catégories spécifiques de familles va jusqu’à provoquer
:


une absence de mixité ethnique dans les écoles ;


une rupture précoce de la scolarité de certaines jeunes filles pour cause de
mariage ;


une orientation très fréquente des jeunes vers les filières professionnelles
faiblement rémunérées et peu porteuses d’emploi.

Dans
les écoles de la République, la ségrégation se traduit par une scolarité avec
une communauté mono-ethnique de la maternelle au lycée. Les enseignants et les
parents d’élèves n’ont eu de cesse d’alerter sur la situation (conseils
d’écoles) et les modifications de la carte scolaire ne font qu’aggraver la
ghettoïsation des quartiers (ex : modification de la carte scolaire du collège
Rabelais, courrier des parents d’élèves du 26 janvier 2015 à la DASEN).

Quelle
citoyenneté promeut-on quand une carte scolaire assigne des milliers d’enfants
dans des ghettos scolaires ?

 

L’exigence
de justice au coeur de la refondation de l’école, qui devrait viser à réduire
les effets des inégalités sociales et territoriales sur les résultats scolaires
et à favoriser la réussite de tous les élèves, nous semble bafouée. En effet,
la nouvelle appellation REP+ censée donner plus de moyens aux établissements
dans les territoires concernés est un leurre.

Si
nous faisons l’inventaire des moyens sur les écoles du quartier Petit Bard par
exemple, nous constatons une dégradation des conditions d’apprentissage et une
suppression des moyens alloués. L’augmentation du nombre d’élèves dans les
classes, y compris dans les accompagnements éducatifs, ne permet plus un
accompagnement personnalisé des enfants en difficultés (18 élèves au lieu de 12
auparavant, avec suppression de projets expérimentaux de qualité qui ont
pourtant montré des effets plus que positifs : Prodas, Coup de pouce langage, Asforel).

 

21.jpgLes
difficultés sont réelles et les moyens s’amenuisent au fil du temps dans les
écoles du Petit Bard :

-La
suppression de postes Rased a entrainé une réduction drastique des prises en
charge (En 2000, 5 enfants de classe de CP avaient une prise en charge
quotidienne ; en 2014, seulement 2 élèves de CP bénéficient d’une prise en
charge de 45 minutes deux fois par semaine) ;

-Les
évaluations de septembre 2014 montrent, par exemple à l’école Delteil, que 70%
des enfants n’ont pas les pré-requis pour l’apprentissage de la lecture en CP ;

-Au
nom de l’équité territoriale, il y a eu une réduction des Coups de pouce clé
qui ont pour mission de prévenir dès le début de la scolarité les échecs
scolaires et les exclusions sociales qui leur sont liées.

-La
diminution du temps d’intervention du médecin scolaire, alors qu’il y a une
augmentation des difficultés et du nombre d’enfants présentant des pathologies
nécessitants des adaptations scolaires.

-La
suppression de « postes de décharge de direction ».

-L’augmentation
du nombre des « élèves ENA » (Enfant Nouvellement Arrivé) et, parallèlement,
baisse des dispositifs facilitant l’apprentissage du français.

 

L’absence
de réponse aux besoins des familles par les institutions et la restriction de l’inspection
académique concernant le dispositif ELCO (Enseignement de la langue et de la culture
d’origine) au CE2, CM1 et CM2, ne font qu’encourager les parents à inscrire
leurs enfants dans des associations communautaires et des écoles privées.

L’école
de la République dans ces quartiers est impuissante et ne fait que renforcer
les inégalités sociales. Les enseignants s’épuisent et ne peuvent exercer
sereinement leurs missions éducatives. L’ouverture à la différence devient
impossible quand même le recrutement des personnels tend à s’ethniciser. Nous
constatons par exemple que les
animateurs
des TAP (Temps d’Accueil Périscolaire) partagent souvent l’origine ethnique des
élèves.

L’absence
de mixité sociale et plus encore ethnique pose de réels problèmes et induit des
remaniements identitaires qui, s’ils ne sont pas clairement pris en compte par
une réelle volonté politique, risque de renforcer et d’instituer le repli
communautaire dans ces territoires.

 

 

34.jpgLa
ghettoïsation aggrave la situation des femmes dans les quartiers:

– Renforcement
de la double discrimination des femmes étrangères (genre + origine) en France.

– Renforcement
de l’enfermement identitaire des femmes par la difficulté voire l’impossibilité
d’apprendre le français par immersion faute d’interlocuteur francophone.

– Renforcement
du contrôle social sur les femmes, fortement influencé par le religieux.

– Restriction
de la liberté de déplacement des femmes avec une assignation de genre à certaines
heures et dans certains lieux.

– Mise
en place de cours d’arabe et de religion pour les femmes dans les territoires Nous
devons nous inquiéter quand seule la religion légitime l’existence et la place
dans la société des habitants de certains territoires.

L’intolérance
vis-à-vis de l’altérité, le repli communautaire sont des mécanismes de défense
mis en oeuvre face à une société qui les discrimine, ne leur accorde pas de
place, et ne leur offre que trop peu de perspective d’avenir.

 

Les co signataires :
AJPPN, Avec les Cévennes, C ésam Migration Santé, collectif Yves  Dumanoir , Habiter Enfin ! La Cimade,
Le CICADE, Les Ziconofages,
Table de quartier,  Tin Hinane, Solange Daunis.


 

SELECTION
DE RAPPORTS DE REFERENCE EN MATIERE DE DISCRIMINATIONS AU LOGEMENT:

 


Position du Haut comité pour le logement pour les personnes défavorisées, «Concilier
mixité sociale et droit au logement »,
publié le 23 février 2015.

http://www.hclpd.gouv.fr/concilier-mixite-sociale-et-droit-au-logement-l-a129.html

 


Rapport
TERRITORI, novembre 2013, L’évolution des territoires de la politique de la
ville en Languedoc Roussillon.

http://www.montpellier-journal.fr/2013/05/le-rapport-qui-derange-sur-la-segregation-deshabitants-
de-la-paillade.html

 

Rapport
de la MIILOS :
N°2013-003, décembre 2013, Office public de l’habitat de Montpellier
(ACM) Montpellier 34

http://fr.scribd.com/doc/244615435/Rapport-2013-de-la-Miilos-sur-ACM#scribd

 

·
Rapport n°2008-146, OPAC de Montpellier, août 2009.

http://www.montpellier-journal.fr/fichiers/miilosacm2009.pdf


Synthèse et propositions pour l’égalité de traitement dans l’accès au
logement (2012), Habiter Enfin ! et collectif associatif régional LCD.

http://habiterenfin.fr/IMG/pdf/propositions_pour_l_egalite_de_traitement_dans_l_acces_au_l

ogement_social-2.pdf

 


HALDE, analyse et recueil des bonnes pratiques, Accès au logement social :
garantir l’égalité
, 2011.

http://halde.defenseurdesdroits.fr/IMG/pdf/rapport-logement-social.pdf

 


ARGOS développement local, mission d’étude sur la promotion de l’égalité des
traitements dans l’accès au logement social
, ACSE – DDE Hérault, Novembre
2007.

http://www.montpellier-journal.fr/fichiers/etudediscri.pdf

 


HABITER ENFIN ! – FASILD LANGUEDOC ROUSSILLON, Les discriminations liées aux
origines pour l’accès au logement
, 2006.

 


Conseil National de l’Habitat, rapport du groupe de travail, Discriminations
dans l’accès au logement
, présenté par Georges Cavallier, 2005.

http://www.vie-publique.fr/documents-vp/rapport_discriminations_cnh.pdf

 


Rapport présenté par le groupe de travail sur l’égal accès au logement
social
, composé de Simone VEIL, Paul BOUCHET, Nicole QUESTIAUX, 2001, www.union- habitat.org/hlm/dripweb.nsf/11D34B8475837ED2C12572BB002E4785/$file/

 


SOS Racisme, Bilan et perspectives des politiques publiques de lutte contre
les discriminations raciales et ethniques dans l’accès au logement
, 21 mars
2002.

www.millenaire3.com/contenus/rapports/sos_racisme.pdf

 


GELD, Les discriminations raciales et ethniques dans l’accès au logement
social,
2001. http://www.hlm.coop/article.php3?id_article=147

 


HALDE, Elaborer des procédures de gestion de la demande et des attributions
de logements
http://halde.defenseurdesdroits.fr/IMG/pdf/cahiers-ush-2.pdf


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