Montpellier Utopia 001: Une expulsion honteuse

Nous
avons à plusieurs reprises dans ce blog rendu compte du formidable travail
qu’on réalisé les occupantEs  d’Utopia,
une ” réquisition citoyenne” exceptionnelle  située avenue de Lodève à Montpellier .

Le 23
octobre au matin, toutes les personnes hébergées ont été expulsées dans la
violence avec l’intervention d’une
centaine de policiers et de CRS
 .

Nous
reproduisons ici un communiqué de la coordination Luttopia.

Voir
aussi la vidéo en fin de communiqué, les photos de la manifestation du samedi 25 octobre et une interview des Utopiens.



Voir  la vidéo : Une expulsion HORS NORME :

http://bcove.me/tapfkglk 

 PA240725.JPG

Montpellier le 23/10/2014

 

La honte s’est abattue
aujourd’hui sur Montpellier. Nous avons tous pu suivre, dans la presse et dans
nos réseaux, l’aventure d’Utopia 001, une réquisition citoyenne de locaux  appartenant à l’Ordre des Avocats de
Montpellier et vacants depuis plus de 3 ans. Nous avons pu entendre dire, voir,
lire ce que quelques militants avaient accompli en quelques mois :

– accueil de dizaines de
personnes, familles, enfants, personnes âgées, jeunes gens, tous échoués à la
rue,

– mise en place d’un suivi
médical par Médecins du Monde qui tenait une permanence chaque semaine au sein
d’Utopia 001, du CLAT pour un dépistage de la tuberculose dans une population à
risque,

-mise en place d’un suivi
administratif permettant à des dizaines de personnes d’exister pour
l’administration française (déclaration de revenus, demande de RSA, recherche
de travail, demande de logements d’urgence et de logements sociaux),

 mise en place d’un réseau d’approvisionnement
en nourriture pour que toutes ces personnes se sentent enfin en sécurité,
sorties de la rue, avec un toit sur la tête, de la nourriture en suffisance,
des soins médicaux, une convivialité et une entraide.

 

 

 

Aujourd’hui, ( 24 octobre)  la vague de froid s’est accompagnée d’une
marée de CRS, gazant, matraquant des personnes coupables de vouloir vivre.
Utopia 001 a été, pour toutes les personnes hébergées, un havre de paix où
l’isolement de la rue était enfin banni.

 

Aujourd’hui, la violence
s’est encore octroyée des droits.

Aujourd’hui, la soumission
à la misère sociale s’est provisoirement imposée.

 

Aujourd’hui, le bâtonnier
de Montpellier a montré que ses engagements d’antan sont passés aux oubliettes.

 

Aujourd’hui, les militants
anarchistes, communistes, syndicalistes CGT, les travailleurs sociaux du115,
les bénévoles de MDM, … ont montré qu’eux avaient compris l’importance de ce
lieu de vie et ils étaient là, présents, résistant comme ils le pouvaient, avec
leur corps contre la force brutale et imbécile de ceux, qui, en face, ont
probablement dans leur famille un privé d’emploi, un privé de droit tout court
mais, qui n’ont toujours pas fait le lien entre ce qu’ils faisaient et ce
qu’ils vivaient.

 

A toutes les solutions,
idées et tentatives de discussion avec les autori

tés, avec la mairie, la
préfecture, la demande d’aide sans cesse renouvelée de la part d’Utopia afin
que le relais soit pris auprès de celles et ceux qui auraient dû être pris en
charge par l’Etat. A tous ces appels, aujourd’hui, l’Etat français a décidé de
répondre par la violence et les lacrymos.

 

Des personnes en situation
de précarité, qui ont décidé de prendre leur vie en mains, de rompre les
cercles vicieux de la rue, de s’entraider, de pallier les carences
institutionnelles en proposant non seulement

un lieu mais aussi et
surtout des outils potentiellement pérennes pour permettre à tous de vivre dans
la sécurité et la dignité auxquelles nous avons tous droit, peu importe nos
parcours devie, des personnes qui se retrouvent aujourd’hui avec, comme tout e
reconnaissance, un ticket pour l’hôpital et un autre pour la rue.

 

Et demain ? les enfants
scolarisés, les travailleurs qui doivent embaucher, les personnes en formation,
les réfugiés politiques qui après avoir quitté un pays en guerre et avaient
trouvé asile (légalement) en France se trouvent sans perspective, des étudiants
de l’université de Montpellier, les demandes de papiers, les procédures
administratives, les traitements de santé en cours, tout cela était lié à ce
lieu, sans toit, plus rien n’est possible…

Abandonnés par l’Etat,
matraqués et gazés par la préfecture et ignorés par la mairie.

A la veille de l’hiver, 103
personnes sont à la rue, aucune solution pour eux, ni pour tous ceux qui seront
dans leur situation avec la température qui continuera inexorablement de
baisser, parce que ?

 

Les résidents aujourd’hui à
la rue d’Utopia 001, la coordination luttopia.

  

Luttopia@riseup.net      www.luttopia.org





PA240720.JPGDes militantEs ont été cités en comparution immédiate . Photos devant le tribunal


PA240728.JPGPA240724.JPG


La manifestation de soutien a réuni de 150 à 200 personnes à Montpellier le samedi 25 octobre.Voici quelques photos ( JCC) 

2.jpg

La
lutte des Luttopiens :

Cela faisait 6 mois que des squatters occupaient  2 maisons, ( propriétés de l’ordre des avocats),  inoccupées depuis 2 ans . Véritable
réquisition citoyenne  pour les sans
logis  le squat Luttopia  est devenu un lieu de vie : il a reçu  160 personnes de 18 à 80 ans en 6 mois :
familles, sans papiers, jeunes chômeurs. Les services d’urgences , saturés(600
sans logis sur Montpellier) envoyaient même des personnes sans solutions à
Luttopia… une ordonnance  d’expulsion  prononcée le 4 juillet a été mise à exécution
jeudi à 9h20, alors que les militants de divers groupes et associations  venus dès 
6h pour soutenir les Luttopiens étaient repartis faute d’expulsion…Ceci,
en pleine semaine de la « rafle Européenne »  destinée à 
arrêter le maximum de sans papiers dans l’Europe entière…

Le lendemain de cette expulsion « hors norme » :
une quarantaine de fourgons de CRS pour une soixantaine de Luttopiens (voir la
vidéo de midi libre) .Des militantes d’« Ensemble » les ont
interviewés.


Questions
aux Uttopiens :

 La violence de l’expulsion ayant été largement
relayée par les médias, pourrait-on revenir sur les caractéristiques de votre
lutte ? Comment répondez-vous aux besoins multiples des utopiens ? (nourriture,
santé, papiers, éducation…)

« Nous avons mis en place 5 pôles, correspondant aux
5 besoins fondamentaux de l’être humain :

-Avoir un logement, pouvoir se vêtir  (réquisition de locaux inoccupés,
distribution et partage de vêtements…)

-Avoir de quoi se nourrir (la récupération alimentaire
grâce à des associations des invendus des grandes surfaces quand c’est possible
a permis d’assurer un vrai repas par jour pour chacun pendant 6 mois)1.jpg

-Avoir accès à l’hygiène et la santé (accès aux douches,
aide précieuse de Médecins du Monde, accompagnement pour la sécu, la CAF…)

-Pouvoir s’intégrer socialement et professionnellement  (permanence administrative par des bénévoles
compétents dans ce domaine, alphabétisation, accès gratuit à des spectacles,
des expos, des concerts…)

-Avoir accès à l’éducation et la culture

Suite à l’évacuation d’hier soir nous nous sommes
organisés, la solidarité a joué et ainsi tous les Utopiens ont été relogés
pour une nuit chez des particuliers. Ils ont pour la plupart été nourris à la
soupe populaire. Ce n’est que du provisoire, ils sont 600 à être à la rue.
Maintenant la décision est prise que chacun se signale officiellement comme
sans-logis. »


Comment
prenez-vous les décisions ? , y avait-il une prise en charge
collective ? Quelle participation de l’ensemble ?

3.jpg« Nous sommes un collectif autogéré. Nous
fonctionnons dans le cadre d’une démocratie horizontale, avec la tenue d’une
assemblée générale chaque dimanche et des groupes de travail correspondants aux
5 pôles des besoins fondamentaux. Cela se faisait à plusieurs niveaux, chacun
pouvait participer. C’est tout le contraire du système vertical ou une poignée
décide et les autres se plient.

Nous avons rencontré des difficultés dans la mise en
place de ce mode de fonctionnement, en particulier à cause de la grande
détresse de certains et de la barrière de la langue, les Utopiens sont
d’origines très différentes : Européens, Arméniens, Maghrébins,  Russes, Bulgares… »

En
quoi votre lutte est elle au carrefour des problèmes de notre société (pt
de vue social, international, écologique et même philosophique ? Votre lutte
remet en question la notion de propriété : quelles sont vos idées la
dessus ?

« Nous partons du respect  des besoins fondamentaux de l’être humain
inscrits dans les droits de l’homme. Puiseurs associations soutiennent et
participent. Nous avons besoin de ce tissu associatif. Nous avons la volonté de
peser.4.jpg

Ce qui est abandonné pour nous devient bien commun. Il s’agit
de partage car l’idée c’est de sortir de la solution individuelle. Les
personnes invisibles vivant dans des lieux invisibles deviennent ainsi enfin
visibles. Dans un monde capitaliste en crise ces personnes en souffrance
défient la loi injuste en réquisitionnant un toit, se rencontrent, discutent et
rêvent de construire un avenir, un monde différent. C’est dans la lutte
ensemble et non individuellement que l’on pourra changer les autres. Il s’agit
ici d’écologie sociale : réinvestir l’espace gaspillé pour l’humain qui en
a besoin.

9.jpgDu point de vue philosophique l’idée est qu’il faut
inventer le futur de l’humanité, rendre la dignité aux oubliés dans la lutte,
tous ensemble. Dans notre démarche qui aspire à rendre à chacun dignité et
authenticité, il ne s’agit pas d’assister, de seulement trouver des solutions
ponctuelles tout en accompagnant le système, c’est une remise en cause de ce
système. Nous rejoignons par ce côté la lutte des Indignados d’Espagne entre
autres mouvements. »

Votre
action interpelle directement les partis de gauche  traditionnels 
qui  comptent  essentiellement  sur les élections pour changer les
choses : Qu’avez-vous envie de leur dire ?

« Que pour nous prendre le pouvoir par les élections
ne changera rien. Car c’est cette notion de pouvoir elle-même que nous
remettons en question : le pouvoir doit être partagé, la puissance
collective. La résistance doit se faire au jour le jour. Le modèle de
démocratie horizontale et d’autogestion que nous avons expérimenté à Luttopia
peut devenir généralisé en fédérant des villes, des campagnes et en respectant
l’équilibre entre elles. Nous rêvons d’un autre monde avec d’autres façons de
fonctionner. Ceci dit, il existe plusieurs façons de voir les choses chez les
Utopiens, plusieurs sensibilités, courants de pensées. Nous discutons,
échangeons… »5.jpg

Témoignages
de 3  jeunes Luttopiens

-« Nous sommes une grande variété de “squatteurs”. Nous
avons des visions de la société différentes. On ne respecte pas notre besoin
vital d’avoir un toit, alors nous défions les lois injustes. Nous sommes
fatigués d’attendre après les institutions, nous faisons « à la place
de.. », tous ensemble. Ce qui est logique et primordial pour chacun
d’entre nous c’est avant tout de sortir de la galère et on est plus forts tous
ensemble que chacun dans son coin. On relève la tête, on agit, on se prend en
charge collectivement. On n’est plus seul.

Luttopia, c’est un lieu de parole et d’entraide à
l’opposé de « l’aide à la personne ». Ici chacun peut apporter au
groupe. Ce n’est pas uniquement un lieu de lutte mais aussi un lieu de vie. A
Luttopia, chacun s’implique. C’est une responsabilité collective et
individuelle pour tout : la bouffe, le ménage, la vaisselle… Ici chacun
peut enfin se sentir en sécurité, souffler. Beaucoup de squatteurs ont vécu
dans la rue, dans la peur. Ils se sont forgé une armure. Ils étaient méfiants,
toujours sur le qui-vive. A Luttopia, ils ont pu enfin, poser cette armure, arrêter
d’avoir peur, refaire confiance. C’est énorme ça, remplacer la peur par la
confiance, pouvoir se détendre enfin. Partage et Amour. Ce sont les bases de
tout.6.jpg

 Je suis en
situation de précarité. J’ai fait des études. Je voulais passer un doctorat
mais finalement je me suis arrêtée à la licence. Je travaille mais mon tout
petit salaire ne me permet pas de payer un loyer, alors je passe de colocations
en squatts depuis 3 ans. J’ai grandi dans une famille politisée : père
communiste, mère anarchiste. Je ne suis pas la seule dans cette situation, une
fille étudiante en arts plastiques ne pouvant pas se loger était avec nous.
Maintenant elle va dormir dans son véhicule. »
Pour comprendre l’autogestion , il faut d’abord assurer
sa responsabilité personnelle  pour
pouvoir assurer la responsabilité collective  »

-« Moi j’ai 19 ans. Je vis dans les squats depuis
l’âge de 10 ans. Seule. Ici on retrouve l’estime de soi. Tout se fait avec
humanité, avec de la patience, du temps et des sourires. Chacun est responsable
de ses actes devant le groupe. Si on fait une connerie, on assume, on ne peut
pas engager le groupe derrière nous. Ça fait réfléchir. »

7.jpg-« Moi j’ai 19 ans aussi. Je n’ai plus de maman ni
de papa. J’ai été mis en foyer et c’est là que tout a commencé. A 16 ans quand
j’ai eu mon BEP je suis parti. J’ai fait plusieurs boulots jardinier, aide à la
décoration intérieure… et là depuis 2 ou 3 mois je squatte avec Luttopia. Quand
je galérais tout seul dans mon coin j’étais désespéré, dépressif. Là ce n’est
plus pareil, on est tous ensemble. Je ne vois plus les choses pareil , je
vais mieux depuis que je suis dans le groupe. »

 

Interview réalisée par Marie-Christine Valat et Christine
Pujol

 

                                                           

8.jpg


Partager :
Gauche écosocialiste 34
Retour en haut